Voilà des heures que je crapahute de berges encombrées en rochers glissants, à observer chaque veine d'eau. Est-elle assez profonde? Y a-t-il une cache? Y a t-il une truite postée? Non. Qu'importe, je soigne mon approche pour atteindre la position qui me permettra de réaliser la meilleure dérive sans être vu. D'un lancer calculé, je pose ma mouche délicatement, les yeux rivés sur elle; je la guide dans la veine quand...rien...
Alors je continue des heures à passer de berges abruptes en immenses rochers, d'un lancer instinctif, je projette ma mouche dans l'eau, elle se perd dans une mosaïque d'ombres et de lumières, je n'y vois rien...c'est alors qu'un bref et presque imperceptible mouvement à la surface de l'eau fait disparaitre ma mouche... D'un geste à peine trop tardif, je ferre!... Meeeeeeeeeerrrrrrrdeuuuuuuuu!...quel con! Une nuée de noms d'oiseaux s'envole du fond des gorges; je viens de louper la seule truite de la journée.
Je pourrais m'en vouloir, pourtant, à la première respiration mes poumons se remplissent d'un air pur que réchauffe le soleil naissant sur ma poitrine...d'un ton calme, une voix me murmure un dernier nom de volatile: "Putain, qu'elle est belle cette vie quand on est au bord de l'eau!"
Ferrages, musique: Gymnopédies : Erik Satie
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