C'est à une chute d'eau que je dois ma plus grande frayeur au bord de l'eau.
En effet, alors que je gravissais une chute, relativement tranquillement sur le côté, tout en m'assurant bien que la désescalade fût envisageable en cas d'impossibilité d'aller jusqu'en haut, un énorme bloc s'est dérobé sous mon pied. Rien de très grave, a priori, mais cela venait de rendre le retour impossible !
Quelques instants plus tard, dans un fracas que seules les gorges sont capables d'amplifier au point d'arrêter votre cœur pendant une fraction seconde, j'entendis le bloc se pulvériser soixante-dix mètres plus bas.
La respiration haletante, le cœur frappant dans la poitrine, je n'eus pas le temps de retrouver mon calme que déjà un deuxième bloc, celui que je tenais dans les mains cette fois, commençait à vaciller...
Je ne sais pas ce qui se passe dans le cerveau dans ces moments-là, il aurait pu tétaniser mon corps entier. Fort heureusement, ce jour-là, ce ne fut pas le cas.
Je n'avais d'autre choix que de continuer à monter sans répit, car, bien qu'équipé de mes crampons, chacun de mes pas arrachait un caillou ou un bloc de pierre de la paroi incessamment glissante vers le précipice.
Je ne sais pas par quel miracle, j'ai pu arriver en haut de la chute. Arriver ? ... Pas vraiment. En fait, il n'y avait, maintenant, aucun moyen de basculer vers le ruisseau qui se trouvait trois mètres en contrebas. J'étais coincé à quelques mètres à peine de la vie sauve.
Sur la petite crête qui me faisait obstacle, un arbuste me tendait l'extrémité d'une de ses fines racines desséchées. Elle était là à portée de main. Elle seule pourrait m'aider à basculer vers le ruisseau et à me préserver d'une chute mortelle.
Ma vie, à confier à cette petite racine toute sèche que l'on pourrait briser sans effort dans un bruit sec et bref.
Ma vie, ne tenant plus qu'à un cheveu, un cheveu sec et rabougri !
Je n'ai pas réfléchi trop longtemps, car j'avais du mal à tenir en équilibre instable dans la paroi glissante. À bout de force, je sentais bien que je ne pourrais tenir ainsi que quelques secondes encore. J'ai donc saisi la racine et je me suis hissé sur la crête en tirant dessus le plus délicatement possible.
La suite s'est passée très vite. La brindille que je manipulais comme s'il s'agissait de nitroglycérine a tenu, mais juste avant de basculer et comme dans un film d'angoisse qui n'en finit jamais, le bâton de marche, que j'avais gardé attaché au sac à dos, s'est coincé de l'autre côté. D'un geste de panique, j'ai arraché le tout et je suis tombé dans la rivière promise.
Je ne me souviens plus très bien des instants qui ont suivi, je peux bien imaginer avoir laissé échapper un "Oh, putain !" À moins que complètement groggy, je me sois dit que cela m'aurait fait une belle mort, là où je suis le mieux au monde. Ce dont je me souviens très bien, par contre, c'est que j'ai bien essayé de continuer à pêcher, comme quelqu'un qui remonterait immédiatement sur un cheval après une chute, pour ne pas rester traumatisé. Cela m'a été impossible, j'étais complètement vidé, lessivé, exténué. Je n'avais plus aucune énergie dans aucun de mes membres qui semblaient avoir été écartelés.
Sur le chemin du retour, des rayons de soleil traversaient les arbres qui longeaient le chemin d'alpage. À travers, ce rideau scintillant de lumières, la montagne se dessinait au loin. Quel spectacle splendide !
Oui, j'avais compris la leçon, à l'avenir, je redoublerai de prudence, mais si les aléas d'un sport de montagne en décidaient autrement, j'aurais peut-être échappé à des années d'agonie, branché aux tuyaux d'un hôpital du service public ! Vous saurez quoi faire le cas échéant !...
Pour témoin de cette histoire, mon bâton et un morceau de mon sac sont encore là-haut !
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